Réflexions sur le pouce

Aujourd’hui: déjeuner sandwich. Pas spécialement parce que je n’ai pas envie de faire la cuisine (faire tenir certains ingrédients entre deux tranches de pain est parfois beaucoup plus technique qu’on ne le pense), mais parce que j’aime parfois manger sur le pouce. Un pouce un peu rupin au vu du contenu de mon sandouiche: jambon de Bayonne, Comté, tomate et concombre.

Un bon moment en tout cas, pour réfléchir un peu sur la cuisine.

Je viens d’une famille où l’on cuisine beaucoup et où être un fanatique des bonnes choses est une norme. La qualité du produit prime avant toute chose et le manipuler avec art est un devoir. Bref, je suis née dans un milieu où ne pas savoir faire la cuisine est socialement handicapant.

J’ai des souvenirs hilarants de déjeuners chez des amis de mes parents, qui ne savaient ni cuisiner, ni acheter de bonnes matières premières. La façon que mes parents avaient de fixer le roulé jambon-macédoine-mayonnaise servi en entrée m’a beaucoup marquée. Et surtout leur tête quand ils réalisaient que le jambon était industriel et que la mayonnaise venait d’un tube.

Si vous voulez vous faire décapiter, chez moi, c’est très simple, il vous suffit de servir un plat avec un vin qui ne lui correspond pas, ou pire, un mauvais plat avec un mauvais vin. La première fois que j’ai invité mes parents à manger chez moi, j’ai raté l’entrée. Ce n’était même pas ma faute, la recette était catastrophique. Seulement voilà, j’avais 18 ans et c’était la première fois que je faisais un vrai repas haut de gamme, je n’avais pas encore assez d’expérience pour savoir si une recette sera bonne ou non, juste en lisant les ingrédients. Malgré les heures passées en cuisine, mes boulettes de Bar et leur sauce épicée étaient immangeables. Depuis, je me suis largement rattrappée, mais je sais que j’entendrai probablement parler de ce ratage jusqu’à ce que tous ceux qui y ont assisté soient morts.

Pour ma part, j’essaie d’être indulgente avec les autres. Ne pas savoir cuisiner, ça peut arriver. Ne pas aimer ça aussi. Cependant, la célèbre phrase de Brillat-Savarin est toujours dans un recoin de mon esprit quand je mange ailleurs que chez moi: « Dis-moi ce que tu manges, je te dirai qui tu es. » La psychologie des gens va généralement de pair avec ce qu’ils mettent dans leur assiette.

Ainsi, il y a « les pseudo-épicuriens », qui confondent être gourmet et gourmand; ils se servent du prétexte d’aimer les bonnes choses pour en abuser largement (et donner l’impression qu’ils n’ont pas mangé depuis 15 jours).

Les « coupables », qui ne mangent en public que la salade arrosée de citron, mais se vengent en cachette sur les paquets de gâteaux. Ceux là sont insupportables à inviter, on les voit en train de calculer combien de kilomètres de footing ils vont devoir faire pour éliminer ce qu’ils sont en train de mastiquer.

Les « intellos » de la bouffe, adeptes d’un régime alimentaire surréaliste qui leur ruine la santé, mais qui les rend intéressants (à leurs yeux). Ils détestent généralement manger et ne supportent la nourriture que s’ils l’ont faite souffrir un max avant. Le pire: aller manger chez eux et s’entendre dire que tout dessécher avant de le manger, c’est formidable.

Les « frimeurs », qui se vantent de tout en permanence: leur maison, leurs gamins, leur chien, leur jardin, leur voiture... généralement, quand ils vous invitent, vous réalisez que leur « grande cuisine », c’est ce que vous faites tous les jours sans vous fouler.

... et il y a ma catégorie: les gens pénibles qui veulent que tout soit toujours parfait. Ils sont généralement difficiles à vivre, mais curieusement, tout le monde veut manger chez eux!
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