Tea for two but tout for me

J’adore les rituels. Alors pas forcément ceux qui nécessitent de sacrifier des poulets en lardant d’aiguilles des poupées vaudoues, au milieu d’un pentacle, en écoutant du heavy metal. J’aime aussi les choses simples, hein!

Je suppose que cela a à voir avec mon côté maniaco-obsessionnel-compulsif. Seulement attention: pas de TOC. Je ne fais que dans le rituel productif. Mettre la table pour mes invités est un rituel. Je fais toujours les choses dans un certain ordre, les mêmes gestes, au même rythme, la même application, ne serait-ce que pour poser une fourchette. Quand j’ai fini ma table, cela veut dire que tout est prêt, que la cuisine n’a pas été dévastée, que les plats sont réussis. C’est la signature finale. Celle qui me permet de sentir que j’ai maîtrisé les choses de A à Z.

Quand on est une folle du contrôle, il faut trouver des obsessions à servir avec dévouement; sinon, on finit par devoir allumer et éteindre la lumière 333 fois avant de pouvoir commencer la journée.

Nous avons tous nos rituels. Ces petites habitudes, ces petits gestes enchaînés qui nous rassurent. Personnellement, celui que je préfère, celui qui marque chaque journée, c’est le rituel du thé.

Quand j’étais enfant, on ne prenait le thé que très rarement à la maison. Mes parents étaient de grands buveurs de café et ma mère n’est venue au thé que tardivement. Mais parfois, nous allions en visite chez des amis plus âgés qui avaient une immense maison bourgeoise. La salle à manger était assez extraordinaire, avec son parquet sombre, son épais tapis et sa table, qui, lorsque j’étais petite, me semblait colossale. Il y avait un très long buffet en bois recouvert de marbre, duquel la maîtresse des lieux tirait le service à thé. Je me souviens que c’était de la porcelaine de chine blanche et bleue et il me semble que la théière était anglaise, en argent avec une anse en bois noir. Mes premières rencontres avec le thé se sont faites dans ce cadre. J’en ai gardé une impression de grand raffinement.

Pour moi, cela avait quelque chose de peu ordinaire, que de s’asseoir autour de tasses fragiles, remplies d’un étrange breuvage parfumé, en maniant de petites cuillères dorées et en mangeant des biscuits de Reims. Comme les adultes ne s’occupaient pas trop de moi, je pouvais tranquillement ajouter du lait dans mon thé et m’extasier sur ce petit nuage qui se dissipait dans la tasse ou y délayer des morceaux de sucre avec bonheur.

A vrai dire, je n’avais pas grand chose à faire de la boisson en elle-même. C’était l’ensemble qui m’intéressait. Le rituel. Mon amour du thé est venu plus tard, quand j’ai appris à apprécier les boissons plus fades que le jus d’orange.

Maintenant, j’associe les deux avec bonheur, et je dois avouer que j’aime autant faire le thé que le boire. Il faut faire chauffer l’eau, choisir la théière, choisir le thé, disposer les tasses...

J’ai ma théière pour le thé vert, celle pour thé noir, celle pour l’earl grey du matin, celle pour les invités. J’ai une quantité astronomique de tasses. Et j’ai une tisanière, avec au minimum six sortes de thé différents dans ses tiroirs.

Je suis fascinée par le magasin de thé, par ces grosses boîtes rouges ou vertes alignées sur les étagères. Comme un enfant dans une boutique de bonbons, je voudrais tout acheter. Pour cette raison, les marchands de thé m’adorent. Ils peuvent me parler de leurs produits pendant des heures, me faire renifler des tas de mélanges compliqués aux noms étranges. J’ai l’air tellement heureuse que c’en est contagieux (sauf quand je tombe sur la petite vieille acariâtre qui a l’air de détester le thé qu’elle vend).

Tout ça fait partie du rituel, de cet étrange fascination pour une plante et l’eau chaude. Quand je n’ai pas le temps de prendre le thé, je suis de mauvaise humeur, fatiguée, j’ai mal à la tête, je traîne les pieds. Quand je mets ma bouilloire en route, je sais qu’un moment très agréable va suivre, que je vais m’installer avec un bon livre ou avec des amis pour discuter.

C’est étrange de voir comment une chose aussi simple peut rendre aussi heureux...

Le comble du bonheur? Me faire construire une maison de thé dans mon futur jardin et apprendre la cérémonie du thé telle qu’elle est pratiquée au Japon. Ca ce serait du rituel!
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