My dear diary

J’ai toujours trouvé dingue que certaines personnes parviennent à tenir un journal intime toute leur vie. Il y a quelque chose d’impressionnant dans le fait d’être capable d’écrire sa journée par le menu, jour après jour, sans en éprouver le moindre ennui.

Parce qu’il faut bien se rendre à l’évidence; même si au début, on part avec le projet grandiose de coucher sur le papier toutes ces grandes réflexions qui nous trottent dans la tête, généralement, la routine fait que les choses se résument généralement à ça:

« Cher journal,

Aujourd’hui, en revenant de la laverie, j’ai pu constater qu’il me manquait une chaussette; encore une. C’est la quatrième en quinze jours. Soit deux paires. Suis-je la victime d’un terrible voleur de chaussettes? ou d’un fétichiste pervers? Pour parfaire le tout, le chien de la voisine a encore fait ses besoins dans mes gardenias. La vie est parfois difficile. »


Plutôt qu’à ça:

« Cher journal,

Cette formidable lecture de la Critique de la Raison pure m’a laissée sans voix. Je dois avouer que pendant quelques heures, j’ai eu l’impression que tout mon univers intellectuel, jusqu’à présent solidement établi sur ses fondations métaphysiques, s’écroulait comme un soufflé au Grand Marnier. Soudain, je ne suis plus très sûre que ce voyage humanitaire au Bangladesh, avec les oeuvres complètes de Proust comme seul bagage, soit un si noble projet que cela. »

J’exagère?
Oui, j’exagère. Mais juste un peu alors!

Quand j’étais plus jeune (quand j’étais en primaire plus exactement), j’éprouvais une grande fascination pour les journaux intimes. Je trouvais que prendre une pose mélancolique pour écrire le récit de sa journée, faisait très future grande figure de la littérature française. En réalité, c’était surtout l’objet qui m’intéressait. Ces petits carnets à la couverture souvent à la limite du kitch le plus malsain, avec leurs minuscules serrures, leurs cadenas lilliputiens et leurs non moins tout pitits trousseaux de clés, me paraissaient vraiment très très dignes d’être possédés.

On m’en a donc offert plusieurs. Dont un vraiment très joli, avec un tableau représentant des chats snobs au possible sur la couverture. J’ai alors tenté de raconter ma vie. Ce fut un lamentable échec.

Chaque soir, quand je m’installais à mon bureau pour faire le récit de ma journée, je parvenais tant bien que mal à m’arracher une demi-douzaine de lignes. Ensuite, la relecture me procurait un sentiment de profonde vacuité. Force m’était de constater qu’à 10 ans, ma vie était lamentablement inintéressante.

J’ai toujours été très exigente. Probablement un peu trop. A trois ans, j’étais déjà la pire des plaies. Je ne jouais pas, je ne regardais pas la télévision et je trouvais que les occupations proposées en maternelle étaient une insulte à ma personne. Ainsi, je refusais d’aller aux toilettes en tenant mes petits camarades par la main et en chantant une stupide comptine (« Tchoutchou, le ptit train, allons vite, vite, tchoutchou, le ptit train, le ptit train va s’en aller... », je me souviens aussi encore de l’air, c’est dire si cette chanson débile m’a traumatisée).

En vérité, je pense que si j’avais balancé dans mon journal, toute la frustration que m’inspirait l’enfance, ce serait très marrant à relire aujourd’hui. Mais des quelques pages que j’ai retrouvées, on trouve surtout des commentaires désobligeants sur mes camarades d’école.

Pendant des années, la réalité m’a profondément déprimée. Je la trouvais terriblement fade et sans intérêt. Maintenant, j’ai compris qu’on peut très bien vivre en plein milieu, à partir du moment où on s’installe dans un confortable univers privé.

J’ai très vite laissé tomber le principe du journal intime. A la place, j’ai décidé d’écrire autre chose: des histoires.

Ce qu’il a de formidable avec l’écriture, c’est l’incroyable sensation de pouvoir qu’elle procure. Quand vous écrivez, vous être Dieu tout puissant. Votre univers vous appartient, vous avez droit de vie et de mort sur tous les personnages que vous créez, vous pouvez inventer tout ce qui vous chante.

D’après ma mère, j’ai commencé à écrire avant de même savoir écrire. Dans le grenier familial, il y a des cahier entièrement remplis de vaguelettes qui sont sensés être des mots. A côté, il y a de petits dessins maladroits, et c’est tout ce qui reste des mes premières histoires, à moins que quelqu’un sache décrypter le langage vaguelette.

Quand mon frère avait deux ans (et donc moi six), je lui fabriquais des livres et ça a duré très longtemps. Mes journaux intimes ont été transformés en carnets à histoires, que je tenais jalousement cachés, de peur qu’on ne me lise. Il m’a fallut longtemps avant que je ne prenne plaisir à partager mes écrits.

Aujourd’hui, je ressens l’écriture comme un besoin vital. Généralement, quand je n’ai plus l’inspiration, c’est que quelque chose ne va pas. Je suis restée une fois pendant près d’une année sans écrire plus d’une dizaine de lignes. Le syndrome de la page blanche. Et je dois avouer que c’était une sensation terrible, que de ne plus être capable de créer.

Car quoi de plus agréable que de se dire que dans notre esprit, sommeillent des mondes tout entiers?

|